dimanche 7 décembre 2014

BLACK WIDOW

On dirait que le spectacle du Cirque du Soleil à Paris m'a pas mal inspiré puisque me voilà un peu sorti de mon blocage pour vous proposer ce petit texte.
Amour.

A lire avec Black Widow.




La jeune femme appliqua doucement le morceau de coton sur son visage et essuya l’encre noire qui salissait ses joues. Ses doigts mal assurés frémissaient contre ses pommettes, emportant dans leur sillage la trainée sombre baignée par les larmes qui formait quelques minutes plus tôt encore son maquillage. Elle leva les yeux vers le grand miroir habillé de lumières crues qui baignaient son visage de lueur.
Elle se trouvait laide.
Ses lèvres trop grosses, son nez trop droit, ses yeux trop clairs, ses cheveux trop bouclés, sa mâchoire trop carrée, son menton trop pointu.
Elle se haïssait.
Ses mains bondirent pour barbouiller le miroir de rouge, évacuant ainsi toute sa hargne contre ce pauvre morceau de vitre.
Et puis, seule dans sa loge, elle effaça les dernières traces de son instant de faiblesses, de son sursaut de conscience. Elle couvrit son visage d’une nouvelle couche de mensonge. Elle alourdit ses cils, peignit ses lèvres, rosit ses joues, brossa ses mèches sauvages.
Elle ferma les yeux quelques instant et souffla profondément, pour calmer le rythme de son cœur lancé au triple galop. Elle savait ce qu’elle avait à faire. Tout était minuté, réglé à la seconde. Elle n’avait qu’à exécuter comme c’était prévu. Et tout irait bien. Tout irait pour le mieux.

La jeune femme se leva brutalement, renversant sa chaise.
Elle fit glisser son peignoir de ses frêles épaules et enfila le justaucorps couleur chair qui lui collait tant à la peau. Une fois la fermeture remontée, elle inspira une nouvelle fois profondément et sortit de sa loge.

Elle avança sur le chemin de la scène, croisant les triplées contorsionniste, dans une nouvelle dispute plus violente encore que les précédentes. Si similaires d’apparence et si divergentes de caractère. Elle fit glisser sa main sur l’épaule du clown qui finissait son verre de whiskey, noyant au passage dans son estomac les petites pilules qui à elles seules lui permettaient de tenir sur le fil, comme un funambule inexpérimenté.
Ses doigts se serrèrent un peu plus sur sa clavicule et il lui répondit en levant les yeux vers elle, esquissant un sourire fatigué. Il était si épuisé de feindre la joie sur les planches qu’il ne s’y essayait plus en coulisses.

Elle continua son chemin jusqu’à la tortueuse échelle qui filait vers la voûte du chapiteau. Barreau par barreau, elle gravit l’édifice jusqu’à se hisser à son fait. Elle s’avança doucement sur la passerelle. A quelques centimètres de plus, le vide. Elle en était si habituée qu’elle ne jeta même pas un œil au précipice. Elle tutoyait la mort avec la désinvolture d’une âme damnée.

Puis vint son tour, enfin.

« Mesdames et messieurs préparez-vous maintenant à trembler de frayeur ! Pour vous ce soir et en exclusivité, la Veuve Noire ! »

Elle soupira.
Il n’y avait rien d’exclusif à répéter tous les soirs avec la même cadence effrénée le même numéro mortel.
Les mains de la Veuve se serrèrent contre le grand drap rouge qui venait de tomber du plafond juste pour elle. Elle calma les tremblements de ses phalanges en soufflant. Elle était incertaine. Pourtant elle était prête. Elle se savait prête. Elle n’avait jamais été aussi prête.

« Elisa, bouge, t’attends quoi là-haut ?! »

Sursaut. Prise de conscience.
Elle se laissa tomber, les mains glissant le long du drapé.
Un cri de panique général agita le public alors que son corps décrivait une chute macabre. Et puis, au dernier instant, ses mains se serraient, brulant son épiderme mais contrecarrant la gravité assassine. Les spectateurs eurent un soupir de soulagement et, déjà, elle remontait, à la force de ses bras. Ses mains s’enroulèrent dans le tissu, puis ses jambes, puis tout son corps. Elle tissait son cocon comme toujours. Elle se laissa alors pendre dans le vide, tête retournée, comme en attente de muer en un gracile papillon et prendre son envol. Elle s’agita et tourna rapidement pour se sortir de son cocon de soie et tomber de plusieurs mètres avant de se retenir in extremis par la cheville.
Applaudissements tonitruants.
Le numéro continua encore plusieurs minutes de la même façon. Elisa volait dans les airs. Elle louvoyait avec le vide. Elle caressait les planches dans ses chutes pour remonter de plus belle vers la voute du chapiteau. Elle dansait dans les airs avec l’aisance d’une araignée ballotée au bout de ses fils. A mesure que le temps passait, tout s’effaçait de son esprit. Seule demeurait la chute du numéro, le dernier mouvement, celui qui vous donnait de tels frissons que votre corps semblait passer de trente-sept à zéro degrés puis à cinquante en une fraction de seconde.
Enfin.
Il arrivait.
Elle se hissa une dernière fois, plus haut encore que précédemment.
Le public se taisait, l’orchestre cessait de jouer, la tension était palpable. Elle ramena près de son corps toute l’étoffe qu’elle put puis l’enroula autour de son corps rompu par l’entraînement. Elle savait exactement quoi faire.
Une fois totalement bercée par la soie, dans un silence total, Elisa se laissa tomber.
Son corps décrivit des arabesques majestueuses, roulant dans le tissu pour filer vers le sol.
Le public retenait son souffle. Allait-elle réussir à se retenir, allait-elle rencontrer la dure réalité terrestre et se briser le cou ? Elisa tutoyait la mort.
Mais elle n’atteignit pas le sol.
Au début, ils applaudirent.
Puis ils se rendirent compte.
Avec brio, Elisa avait effectué son dernier numéro, comme minutieusement prévu.
Et le drap qui l’avait emprisonné tant d’années durant, l’avait libérée.

Ci ne gisait pas Elisa, flottant dans les airs, uniquement retenue par un ferme mais élégant nœud, solidement enroulé autour de sa gorge fragile. 


samedi 4 octobre 2014

Hold her down with soggy clothes and breezeblocks.

https://www.youtube.com/watch?v=rVeMiVU77wo


Lisa, Lisa, encore et toujours Lisa ♥





















en bonus une photo DE MOI ahah, ça change. Prise par Lisa du coup ! 



jeudi 21 août 2014

Gabisi : la Fin.

Ne me haïssez pas, j'ai totalement oublié de poster cet ultime texte sur Gabriel & Isidora. Bonne lecture ♥
Pour le premier texte de la série, c'est par ici !

A écouter avec ça. 
La feuille virevoltait doucement, caressant l’herbe verte, glissant le long des graviers clairs, décollait parfois brusquement pour presque atteindre ce réverbère qu’elle tutoyait parfois quand son amie tempête l’y poussait pour finalement retomber embrasser la terre qu’elle ne côtoyait que trop souvent depuis que l’automne s’était installé.
La jeune femme observait le ballet magnétique de la petite feuille avec un regard lointain. Ses yeux chocolat suivaient le petit morceau de rien valdinguer d’un bout à l’autre du grand parc avec un mouvement qui ferait presque penser à de la joie. La nature mourait mais semblait joyeuse. Doux paradoxe de cette fin d’été. Les arbres rougissent, les joues des enfants aussi, vite couverte d’une grosse écharpe.
Et la jeune femme attendait toujours.
Ses cheveux bruns aussi virevoltaient, portés par le vent et ses doigts, rosis par la fraicheur de cette fin d’après midi française, serraient fermement le petit livre en cuir.
Elle l’attend.
Qui ?
Nul ne savait vraiment mais tout portait à croire qu’elle l’attendait de pied ferme. Elle restait là, le dos droit sur ce petit banc vert, coincée dans un minuscule espace de verdure au cœur d’une capitale qui noircit le ciel du monde un peu plus à chaque seconde.
Le soleil entamait doucement sa longue descente et ses rayons bas caressaient son petit visage mutin. De concert avec la nature, son regard s’illumina.
Il arrivait.
Elle distinguait sa démarche rapide, sa carrure, ses cheveux bruns en bataille, son sourire. Ce sourire qui la faisait s’envoler à des kilomètres au dessus du sol. Elle se lève brusquement du banc. Elle s’élança vers le jeune homme, une euphorie totale peinte sur son visage aquarelle. Ils incarnaient le bonheur réuni. Leurs lèvres s’épousaient, leurs langues se caressaient, leurs doigts se touchaient avec ardeur.
Comme si le monde s’était mis en sourdine juste pour observer ce duo merveilleux se réunir.

Une main se pose sur la sienne, parcheminée. Elle détache son regard des deux amants retrouvés et lève ses yeux bleus acier sur celui qui s’assoit à côté d’elle.
« T’en as mis du temps. »
Elle a les cheveux blancs. Lui aussi. Il est rasé de près, sent bon le parfum et est d’une élégance redoutable. Elle a mis sa plus belle robe et s’est accordé un peu de rouge sur ses lèvres.
Il lui lance un sourire puis active le tourne-disque.
Elle entrelace ses doigts dans les siens.
Quatre-vingt ans de folie.
Elle se serre contre lui alors qu’ils évoluent doucement sur la piste improvisée. Quelques badauds s’arrêtent, habitués ou simple curieux. C’est comme un rituel. C’est simpliste. Doux et léger. Mais d’une nécessité absolue.
La vieille femme colle ses lèvres contre le cou de l’homme de sa vie.
« Dis, tu m’aimes encore ? »
Ils se déplacent toujours doucement. Elle place son bras autour de sa taille. Il prend son temps.
« A jamais. A vingt ans. A quatre-vingt. Après. »
Elle lui lance un regard brillant.
« Vraiment ? Après ? »
Le rythme du disque change et s’accélère. Les deux danseurs suivent la cadence. La valse évolue en un tango lent puis de plus en plus rapide, de plus en plus fusionnel.
Ils ont fait ça toute leur vie.
Ils ont été façonnés pour le faire.
Ils sont faits pour être deux. Pour danser à deux. Pour s’aimer. Faits pour se compléter. Faits pour, chaque soir, répéter les mêmes gestes devant des dizaines de spectateurs dont ils se fichent bien. Ils sont là pour savourer chaque bouchée de cette vie qu’ils ont consumé jusqu’à la dernière cendre.
« Après aussi. »
Elle éclate de rire alors que tout s’accélère et qu’il la fait voler de l’autre côté. Elle lève sa jambe, il approche ses lèvres des siennes et ils s’embrassent.
Les applaudissements explosent de toutes parts.
Ils s’en fichent.
Le soleil se meurt.
Isidora aussi sait que, bientôt, comme l’astre, elle tirera sa révérence après une longue journée. Longue comme une vie bien remplie.
Mais elle sait aussi que le rideau se lèvera à nouveau.
Que la journée recommencera.
Qu’elle le cherchera à nouveau.
Et que tout sera différente à nouveau.
Tout sera mieux.
Tout sera pire.
Tout sera eux.