jeudi 21 août 2014

Gabisi : la Fin.

Ne me haïssez pas, j'ai totalement oublié de poster cet ultime texte sur Gabriel & Isidora. Bonne lecture ♥
Pour le premier texte de la série, c'est par ici !

A écouter avec ça. 
La feuille virevoltait doucement, caressant l’herbe verte, glissant le long des graviers clairs, décollait parfois brusquement pour presque atteindre ce réverbère qu’elle tutoyait parfois quand son amie tempête l’y poussait pour finalement retomber embrasser la terre qu’elle ne côtoyait que trop souvent depuis que l’automne s’était installé.
La jeune femme observait le ballet magnétique de la petite feuille avec un regard lointain. Ses yeux chocolat suivaient le petit morceau de rien valdinguer d’un bout à l’autre du grand parc avec un mouvement qui ferait presque penser à de la joie. La nature mourait mais semblait joyeuse. Doux paradoxe de cette fin d’été. Les arbres rougissent, les joues des enfants aussi, vite couverte d’une grosse écharpe.
Et la jeune femme attendait toujours.
Ses cheveux bruns aussi virevoltaient, portés par le vent et ses doigts, rosis par la fraicheur de cette fin d’après midi française, serraient fermement le petit livre en cuir.
Elle l’attend.
Qui ?
Nul ne savait vraiment mais tout portait à croire qu’elle l’attendait de pied ferme. Elle restait là, le dos droit sur ce petit banc vert, coincée dans un minuscule espace de verdure au cœur d’une capitale qui noircit le ciel du monde un peu plus à chaque seconde.
Le soleil entamait doucement sa longue descente et ses rayons bas caressaient son petit visage mutin. De concert avec la nature, son regard s’illumina.
Il arrivait.
Elle distinguait sa démarche rapide, sa carrure, ses cheveux bruns en bataille, son sourire. Ce sourire qui la faisait s’envoler à des kilomètres au dessus du sol. Elle se lève brusquement du banc. Elle s’élança vers le jeune homme, une euphorie totale peinte sur son visage aquarelle. Ils incarnaient le bonheur réuni. Leurs lèvres s’épousaient, leurs langues se caressaient, leurs doigts se touchaient avec ardeur.
Comme si le monde s’était mis en sourdine juste pour observer ce duo merveilleux se réunir.

Une main se pose sur la sienne, parcheminée. Elle détache son regard des deux amants retrouvés et lève ses yeux bleus acier sur celui qui s’assoit à côté d’elle.
« T’en as mis du temps. »
Elle a les cheveux blancs. Lui aussi. Il est rasé de près, sent bon le parfum et est d’une élégance redoutable. Elle a mis sa plus belle robe et s’est accordé un peu de rouge sur ses lèvres.
Il lui lance un sourire puis active le tourne-disque.
Elle entrelace ses doigts dans les siens.
Quatre-vingt ans de folie.
Elle se serre contre lui alors qu’ils évoluent doucement sur la piste improvisée. Quelques badauds s’arrêtent, habitués ou simple curieux. C’est comme un rituel. C’est simpliste. Doux et léger. Mais d’une nécessité absolue.
La vieille femme colle ses lèvres contre le cou de l’homme de sa vie.
« Dis, tu m’aimes encore ? »
Ils se déplacent toujours doucement. Elle place son bras autour de sa taille. Il prend son temps.
« A jamais. A vingt ans. A quatre-vingt. Après. »
Elle lui lance un regard brillant.
« Vraiment ? Après ? »
Le rythme du disque change et s’accélère. Les deux danseurs suivent la cadence. La valse évolue en un tango lent puis de plus en plus rapide, de plus en plus fusionnel.
Ils ont fait ça toute leur vie.
Ils ont été façonnés pour le faire.
Ils sont faits pour être deux. Pour danser à deux. Pour s’aimer. Faits pour se compléter. Faits pour, chaque soir, répéter les mêmes gestes devant des dizaines de spectateurs dont ils se fichent bien. Ils sont là pour savourer chaque bouchée de cette vie qu’ils ont consumé jusqu’à la dernière cendre.
« Après aussi. »
Elle éclate de rire alors que tout s’accélère et qu’il la fait voler de l’autre côté. Elle lève sa jambe, il approche ses lèvres des siennes et ils s’embrassent.
Les applaudissements explosent de toutes parts.
Ils s’en fichent.
Le soleil se meurt.
Isidora aussi sait que, bientôt, comme l’astre, elle tirera sa révérence après une longue journée. Longue comme une vie bien remplie.
Mais elle sait aussi que le rideau se lèvera à nouveau.
Que la journée recommencera.
Qu’elle le cherchera à nouveau.
Et que tout sera différente à nouveau.
Tout sera mieux.
Tout sera pire.
Tout sera eux.