jeudi 28 février 2013

Fin de soirée.


L
es convives bavardaient joyeusement dans un brouhaha général et pourtant pas désagréable. Les musiciens jouaient une musique d’ambiance légère et la piste de danse n’était occupée que par quelques couples. D’immenses baies vitrées laissaient entrer la nuit dans la pièce étouffante et beaucoup des convives avaient choisi de promener leur coupe de champagne jusque sur la terrasse du manoir. Le barman, un brun au regard sombre et à la bac taillée en un bouc élégant, faisait voltiger les bouteilles multicolores, servait cocktails sur cocktails, coupes de champagne comme minuscules shoots de la meilleure vodka du pays. Et ils étaient en Russie, c’était donc la meilleure vodka du monde. Une jeune femme rousse aux formes voluptueuse et à la robe noire échancrée au niveau de la cuisse agitait lascivement les glaçons dans son whiskey. Elle était dos au bar et caressait son collier de perle, le regard en apparence dans le vague. Dans un fourreau bustier aussi écarlate que ses cheveux, une jeune femme vint commander une coupe de champagne au barman avant de rejoindre sa table et les deux convives qui y restaient : un couple de blonds, elle menue et réservée, lui grand et antipathique. La soirée évoluait donc doucement sous le regard attentif de son organisateur, le Vodj, le petit père des peuples, Staline. L’homme au visage abîmé par la maladie semblait écouter d’une seule oreille l’un de ses ministres. Il n’avait d’yeux que pour la rousse du bar qui ne lui accordait pas un seul regard.
Au bout d’une dizaine de minute, la femme d’une trentaine d’années se leva de son tabouret. Le barman et les trois personnes de la table se figèrent. Elle s’avança à pas lents et décontractés vers le dirigeant du pays et lui demanda s’il était possible qu’elle lui adresse quelques mots. L’homme acquiesça et s’avança de deux pas. Elle approcha ses lèvres écarlates de son oreille et chuchota :
« Nous les avons repérés, vous jouez excellemment la comédie par ailleurs, nous vous sommes reconnaissants de votre investissement. De plus, Treinev Garnagovitch a empoisonné votre coupe de champagne dans la seconde, je vous conseille de la reposer. »
Staline inclina la tête et approcha à son tour ses lèvres de l’oreille de la magnifique femme. « C’est pour moi un plaisir de vous aider à purger mon pays des » il haussa subitement le ton, hurlant presque à l’oreille de Bleuenn « Traitres. »
Une balle fusa dans sa direction mais fut arrêtée immédiatement dans le bouclier invoqué par Bleuenn.
A peine le coup de feu stoppé que les cinq bodyguards étaient levés. Quatorze invités tirèrent des armes de leurs poches. Revolvers, poignards, sabres même. Les innocents convives hurlèrent et quittèrent les pièces avant d’être pris entre deux fronts. Bleuenn jeta le champagne au visage de l’empoisonneur et lui asséna un coup de poing monumental. Les autres ministres du dictateur prirent leurs jambes à leur cou, bientôt suivi du Vodj lui-même.
Il n’y avait donc plus que les cinq bodyguards et les quatorze traitres. Ces derniers attaquèrent sans plus attendre, furieux de voir leur cible disparaître.
Jaden sourit, Dorothy soupira.
« Nous n’avons même pas eu le temps de danser ! »
Le gentleman lui pris délicatement la main. « Alors faisons-le. » Un pâle sourire s’afficha sur les lèvres de la jeune fille et elle se métamorphosa en une lame magnifique. Un sabre aussi blanc que l’ivoire, délicatement sculpté et parfaitement tranchant. Un ennemi ricana : « elle coupe ta sculpture fillette ? »
Sa tête mis longtemps à tomber au sol. Comme si le temps eut été ralentit par l’action d’une rapidité déconcertante. Le sang avait giclé partout, éclaboussant les visages de ses amis, le costume trois pièces de Jaden. Le sabre pourtant restait immaculé. Le corps finit par tomber lui aussi, mais quelques secondes après, comme une oie continuant  de déambuler après que sa tête lui aie été retirée. C’était presque comique.
Tout se figea. Les attaquants attendaient avec angoisse que le diable blond repasse à l’attaque, les bodyguyards, eux, attendaient bien autre chose.
Mais le fantôme noir qui signalait l’emprise d’Amy sur un corps n’apparût pas. Ils étaient donc pleinement conscients de leurs actes.
Jaden sourit. « Pas de quartier. »
Tout alla très vite. Jack tira trois cartes. Trois têtes furent percées d’une fente minuscule qui, pourtant, détruisit la plus grande partie de leur système nerveux. Il envoya ensuite à Bleuenn un fusil caché sous le bar. La chasseuse de sorcières le récupéra au vol et le chargea immédiatement, soulagée de se sentir moins sans défense. Deux têtes. Une balle.
Charlotte elle avait infiltré les esprits de quatre assaillants. Ils se tordaient de douleur, convulsaient de peur sur le marbre de la salle. Lorsque l’esprit prit le dessus sur le corps, ils s’évanouirent.
Jaden avait continué son œuvre de mort, fauchant têtes et bras, avec la grâce d’un danseur de ballet. Il acheva d’ailleurs le dernier de sa lame alors léchée par des flammes d’un bleu éclatant.
Lorsque le corps tomba au sol, inanimé, chacun soupira. Le sabre se retransforma en une Dorothy complètement recouverte de sang. Ses cheveux châtains étaient poisseux, sa robe imbibée, ses mains complètement rouges. Si le sabre restait immaculé, elle faisait les frais de chaque goutte.
Elle tremblait légèrement. Elle tomba au sol, un peu sonnée. Elle se frotta le visage de ses mains salies, fatiguée. Puis elle leva les yeux vers son partenaire et sourit : « Intense ! »
Elle était loin de la pâle Dorothy qui vomissait devant la moindre goutte de sang.
« Limpiasso ! » incanta-t-elle et ses cheveux, ses vêtements et son corps entier furent nettoyés.
Jack alluma la cigarette que lui tendait Jaden. Il n’aimait pas vraiment fumer mais la clope d’après carnage devenait de plus en plus vitale à mesure que le temps passait. Il jura.
« Putain de merde, ces fils de pute ont bien failli nous avoir cette fois. »
Jaden haussa un sourcil et fit remarquer qu’ils n’avaient pas vraiment eut de mal à s’en débarrasser.
« Je parle du poison » rétorqua Jack. « Et du fait que Staline aurait pu se faire avoir comme un bleu. »
« Mais ça n’est pas arrivé. »
Jack haussa les épaules et souleva quelques corps par magie pour les emmener dans le jardin. Dorothy, Bleuenn et Chi faisaient de même. Jaden en chargea deux sur ses épaules et les déposa sur le tas que ses amis avaient déjà fait.
Il leur lança un regard vide de toute émotion.
« Brûlez, insensés. »
Le bûcher funéraire s’enflamma de flammes hautes de plusieurs mètres.
Le feu semblait ronronner.
Le feu vif aimait les corps.

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