lundi 15 avril 2013

Je t'haime.

C'est un texte qui me taraude depuis quelques jours/semaines alors voilà. Je crois qu'à la fin j'ai arrêté de respirer parce que j'étais tout essoufflé !



Ses doigts effleuraient sa joue rosie par l’émotion, ses prunelles dévoraient celle qu’il convoitait tant. Il promena le bout de sa main contre ce visage doux et pâle à l’ovale légère et au menton pointu, aux lèvres charnue et au nez droit. Ses lèvres se posèrent contre les siennes alors que sa main caressait sa cuisse. Il l’amena doucement contre le mur tapissé de la pièce. Elle avait gardé les paupières obstinément closes, comme pour retarder le plus possible le contact visuel. Mais alors que son dos touchait la paroi, elle ouvrit les yeux, dévoilant deux iris d’un noir intense, dévorés par le désir. Elle chuchota…

« THOMAS ! »
C’était plus un hurlement qui cri de détresse. Plus un dernier souffle qu’un souffle de peur.  Plus de l’amour que de l’effroi. Elle se savait perdue.
Graham leva brusquement le nez de ses papiers. Ses lunettes volèrent sur le bureau d’acajou et de nombreux papiers s’envolèrent alors que l’homme se levait brusquement de sa chaise. Il fit le tour du beau secrétaire en bois et se jeta sur la porte de la pièce. Il l’ouvrit à la volée et se précipita dans le couloir, fonçant sur le tapis émeraude comme si sa vie en dépendait.
Mais sa vie n’en dépendait pas.
Pas la sienne tout du moins.

Ses mains se faisaient de plus en plus pressantes. Elles se glissaient sous les broderies fines de sa robe, caressaient doucement les cuisses d’Amy mais avec de moins en moins de retenue, comme si l’envie prenait le pas sur les convenances.
Les lèvres écarlates de la somptueuse brune embrassèrent le menton mal rasé et la mâchoire carrée de son amant. Elle lui susurrait des mots doux à l’oreille, des mots qui ne faisaient qu’attiser son envie d’elle, l’envie de la toucher, de l’avoir, de la posséder.
Il la tira brusquement sur le lit.

« Thomas »
Ca n’était plus qu’un souffle à présent. Le bruit mat qui se répétait à l’infini depuis quelques secondes cessa enfin de vriller les tympans de Thomas Graham. Il pleurait. Comme un enfant. Il traversa le hall en larmes, grimpa l’escalier de marbre drapé de velours. Il fonça à travers les couloirs de sa propre maison, sachant pertinemment qu’il courait vers un cadavre.
« ELISE » hurla-t-il, la voix rauque, brisée.

« Amy, oh Amy. »
Leurs corps ne faisaient plus qu’un, Thomas agitait ses cheveux bruns mi-longs et poisseux de sueur. Son corps brillait aussi par l’effort. Amy caressa son torse parsemé de poils aussi bruns que ses cheveux et lui intima de continuer. Ils étaient là. Ensemble. C’était tout ce qu’elle avait toujours voulu, tout ce qui lui suffisait. Il lui semblait qu’une simple seconde comblée par Thomas Graham valait des siècles de souffrances.

« Souffre ! Souffre ! Souffre ! Souffre ! »
Graham arrivait enfin à la porte de la chambre de sa femme. Il tambourina contre le panneau de bois avant de le pulvériser.
Lorsqu’il entra dans la pièce, l’odeur métallique du sang lui prit la gorge, les larmes lui brouillaient la vue, ses mains tremblaient. Et Amy continuait de hurler…

« Oui, oui, oui ! »
Le bassin de l’homme continuait ses va-et-vient, son souffle se faisait de plus en plus irrégulier, ses mouvements plus secs. Les mains d’Amy replacèrent une mèche de ses cheveux derrière son oreille pour admirer dans toute sa superbe ce visage qu’elle aimait à en crever, taillé à la serpe, serti de deux émeraudes luisantes de désir. Elle caressa ses joues rêches, ses bras tannés, son bassin puissant. Et cria à nouveau « Oui, oui…

Oui. » sourit Amy. « C’est moi. »
Graham ne bougeait plus. Une seule chose l’obsédait à présent. C’était cette tâche de sang contre le mur et la main de cette femme qui enserrait les cheveux de la femme qu’il aimait. De la morte qu’il aimait. Il hurla à plein poumons avant de se jeter sur la meurtrière.

Ses mains agrippèrent son cou délicat dans un râle impulsif de plaisir. Ses lèvres embrassèrent ses clavicules alors que ses hanches continuaient leur hypnotique valse de la luxure. Soudain, alors que les deux partenaires étaient plus à l’unisson que jamais, Thomas poussa un gris rauque avant de se cambrer. Puis tout s’arrêta.

Ses mains enserraient son cou à lui exploser la nuque. Le visage de Graham était convulsé par la haine, de lourdes veines pulsaient sur ses tempes comme sur celles d’une Amy asphyxiante. Elle poussa un râle rauque « tu ne peux pas me tuer » souffla-t-elle en perdant le peu d’oxygène qui restait dans ses poumons. Des tâches obscures commençaient à brouiller sa vision.
« Ah non ? Et pourquoi ? »
Les pieds de la jeune femme écrasèrent involontairement la main écarlate de la morte dans un geste désespéré de fuite. « Parce que…

… Tu m’aimes ? »
Graham expulsa une volute de fumée avant de sourire doucement.
« Bien sûr que non » rit-il « enfin je pensais que c’était clair, toi et moi c’est juste pour s’amuser, non ? »

« Non. »
Graham avait reculé d’un pas, comme dégouté par le simple fait de la toucher. Amy s’affaissa comme une poupée de chiffon, de vilains hématomes fleurissant comme un collier autour de son cou. Elle reprit difficilement de l’air alors que Graham tirait une lame de sa poche intérieure. Il jeta un coup d’œil sur sa défunte femme.
« Je lui ai éclaté la tête contre ce mur » sourit Amy en parlant avec difficulté. « Ce même mur sur lequel tu m’as fait l’amour. Je l’ai cognée dix-huit fois. » Elle marqua un temps. « Le nombre de fois que tu m’as fait l’amour. »
Graham se jeta sur elle.

« Je suis bête, bien sûr » se reprit la jeune femme.
Elle promena ses doigts sur le torse de son amant, fit glisser sa main joueuse sous la couette. Graham ne l’arrêta pas. C’était ce qu’il recherchait après tout.
Elle l’attirait. Il ne l’aimait pas. Mais c’était magnétique, il la désirait plus que tout.

« Tu ne vas pas me tuer tu sais ? » continua-t-elle, la voix plus assurée.
Elle tenait son bras et la lame tremblait à quelques centimètres de son visage gracile.
« Et pourquoi donc ? »
« Parce qu’il y a chez moi une lettre. Qui affirme que je t’ai vu frapper ta femme. Que je te trouve violent avec elle et que cela m’inquiète. Si tu y touches tes mains brûleront. Mais si je meurs, un sort l’envoie directement chez Ursula, ma délicieuse voisine. » Elle planta son regard dans le sien, le bras de l’homme se faisait moins puissant. « Alors vas-y, tue moi. »
« Tue moi » continua-t-elle  « et ta vie part en fumée plus surement que si je te tuais de mes propres mains. »
Graham pleurait à présent. Des larmes d’impuissance et d’horreur mêlées. Amy exultait.
Il était devenu plus inoffensif qu’un enfant en pleurs. Elle le prit dans ses bras, murmurant des paroles réconfortantes à son oreille.
« Chut. Voilà, ça va aller. Il n’y a plus rien entre nous maintenant, tu verras, tout ira bien. »

« Tout ira bien. »
« Non Thomas, je ne suis pas sûre de vouloir qu’on se quitte… »
« Mais il le faut Amy, ne fait pas l’enfant, on s’est bien amusés. Je me marie avec Elise dans trois jours, toi et moi c’est fini maintenant. »
Amy leva vers l’amour de sa vie un regard implorant.
« Dégage de chez moi. »

« Tu m’as traitée comme une putain. Une sale trainée. Tu m’as utilisée et puis tu m’as jetée. J’ai énormément souffert tu sais. Plus qu’Elise n’a souffert, beaucoup plus, parce que moi ça n’est pas parti en dix-huit petits coups contre un mur. »

Douleur. Douleur et souffrance.

« Je t’aime tu sais. Je t’aime encore. Je pense que je t’ai aimé dès la première seconde. Je pense que je suis tombée dans la folle dès lors que tes mains se sont posées sur les miennes. »
Amy continuait de serrer l’homme abattu dans ses bras.
« Je t’aime comme une folle. Je crois bien que je le suis devenue. Folle. »
Elle riait doucement, mais sans s’arrêter, comme une machine qui déraillait.
Quand le couteau se planta dans ses entrailles, elle ne broncha même pas.
Elle cracha juste une gerbe de sang et tomba au sol.
Graham pleurait toujours, les deux femmes de sa vie étendues au sol. L’aimée et la désirée. Baignant toutes deux dans leur propre sang.

« Je t’aime je t’aime je t’aime. »
Elise. Amy.
Amy. Elise.
« Je t’aime je t’aime je te hais. »

L’homme fit volte face, laissant les deux corps imbiber le tapis de la chambre du liquide poisseux. Il saisit un grimoire vieux et oublié, couvert de poussière.
Il allait faire quelque chose qui le dégoutait plus que tout.
Quelque chose qu’il répugnait.
Il allait effacer Elise de la mémoire du monde.
Rayée de la carte.
N’en resterait qu’une tâche indélébile sur un tapis à présent écarlate.

« Je te déteste je te dénigre je te désire je te dénude te je détruis. »

Lorsqu’il revint dans la chambre, il ne restait que le corps d’Elise, disloqué contre le mur. Celui d’Amy s’était volatilisé. Ne restait qu’un message rouge sang qui souillait la paroi jadis blanche.

« Je t’haime. »

dimanche 14 avril 2013