dimanche 15 juillet 2012

Après guerre.


Ses lèvres carmin se pressèrent sur les siennes, brûlantes. D’élégantes larmes cristallines coulaient à flot sur ses joues pâles alors qu’il lui remettait en place ses cheveux flamboyants. Bleuenn se crispa plus encore au vêtement de son amant, les échos de la rue se faisaient de plus en plus forts.
Des filets de paroles s’échappaient de sa fine bouche, inaudibles prières, intenses supplications ou malédictions, personne ne le saura jamais. Lui avait l’air serein. Il était grand, bien bâti, les cheveux blonds comme le blé fraichement coupé, les yeux bleus comme l’océan impétueux. Il était à elle. Ils n’avaient pas le droit de l’arracher comme ça, comme une petite fille à sa peluche favorite.
Les cris de la rue se faisaient monstrueux à présent, ils enflaient de plus en plus à mesure qu’approchait la foule.
« Je… je ne veux pas, Hans, s’il te plait fait quelque chose… »
Hans continuait à la bercer doucement, les mains sur sa tête.
La maison était vide, poussiéreuse, abandonnée depuis des mois déjà. Ils étaient affalés sur le seul meuble de la pièce : un sofa immaculé, blanc comme la soie.
« Chut, ça va aller… »
« NON CA NE VA PAS ALLER ! » hurla Bleuenn, les larmes dévalant son visage dans une course effrénée. « ILS VONT TE TUER ! »
Hans ne dit rien.
Leurs lèvres se scellèrent une dernière fois alors que la porte explosait, laissant libre passage aux villageois hors d’eux.
Ils commencèrent par se saisir de Bleuenn, arrachant par touffes ses cheveux couleur feu pour la trainer au sol, loin de son amant. Elle hurlait. Elle hurlait encore et toujours pour son cœur brisé dont on piétinait à présent les miettes allègrement. 
On la rouait de coup, on lui lançait des pierres. 
La jeune femme n’était plus que souffrance.
Hébétée, elle se laissa attacher à un poteau. A ses côtés, quatre autres femmes dans le même état. Yeux pochés, égratignures, bleus, lèvres percées, pommettes éclatées.
Puis la grosse femme qui menait l’expédition punitive prit la parole.
« LA GUERRE… EST FINIE ! » commença-t-elle par éructer, très vite suivie par des centaines de hurlements de joies.  « Il est à présent l’heure de rendre les comptes ! » A nouveau les cris bestiaux retentirent, rebondissant dans le crâne malmené de Bleuenn. « Ces femmes ont TRAHI la France ! CES FEMMES, COMME DES PUTES, DES SALES CATINS, SE SONT VENDUES CORPS ET AMES ! Et à qui ? AUX ALLEMANDS ! »
La grosse femme cracha au visage de Bleuenn.
Oh, elle la reconnaissait maintenant. C’était Béatrice, la grosse poissonnière. Elle ne l’avait jamais aimée de toute façon.
« TRAINEES ! » ajouta allègrement Béatrice. « PENDANT QUE NOUS NOUS BATTIONS, QUE FAISIEZ VOUS HEIN ? OUI, VOUS VOUS JETIEZ DANS LE LIT DE CES PORCS ET VOUS FAISIEZ BAISER QUAND NOS MARIS A NOUS, MOURRAIENT POUR VOUS ! Alors vous serez marquées de votre crasse pour quelques  temps encore ! Allez-y ! »
Bleuenn ne l’entendit même pas. A dire vrai elle n’entendait qu’un bourdonnement sourd et la grosse voix irritante de Béatrice à présent. Un couteau passa le long de son crâne et lui coupa ses belles boucles rousses.
Une à une, les mèches tombaient au sol. C’était à chaque fois un coup de poignard de plus dans le ventre de la pauvre femme.
Lorsqu’elle se sentit complètement chauve, on la détacha.
Les fruits trop murs s’écrasèrent sur son visage avec ferveur, les cailloux rebondissaient contre son ventre, ses bras ou ses épaules alors qu’elle descendait du pilori. 
Les autres femmes avaient le même air hébété qu’elle, tels des fantômes sans âmes, elles rentrèrent chez elles, poursuivies par les quelques hargneux encore présents.
Bleuenn passa devant la porte défoncée de son refuge.
Le canapé n’était que rouge carmin à présent.
Et Hans avait le même air hébété à présent.
Ils étaient si semblables, les mêmes yeux écarquillés, le même corps recouvert de sang.
Sauf que dans la poitrine de l’une battait un cœur.
Brisé, certes, mais en vie.
Ils avaient gagné la guerre, les français.
Elle était brisée, mais ils avaient gagné.
Elle n’arrivait pas à être heureuse.
Etrange.
Plus jamais, Bleuenn n’aima.

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C'est une histoire vraie exceptée la mort du soldat, pour mon arrière grande tante qui n'aura plus jamais aimé après la guerre, :love:

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